Migrants : « Tu seras suédoise ma fille ! »

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C’est le titre d’une exposition de photos qui retrace la fuite depuis la Grèce jusqu’en Suède d’un couple de syriens parents de deux jeunes enfants. L’exil « pour mettre les enfants à l’abri »

Ahmad&Jihane

Avec leurs deux jeunes enfants Ahmad et Jihane ont marché pendant 30 jours de la Grèce à la Suède

Migrants? Clandestins? Exilés? Non! L’homme et la femme que l’on découvre sur la plupart des photographies de l’exposition sont avant tout des parents « ordinaires ». Ils ont deux enfants. Maya, une fillette de 5 ans et César un petit de 18 mois. Ahmad le père a une trentaine d’années. Visage rond, jean et tee-shirt ample, lunettes fines et smart-phone vissé à la main. En Syrie, il tenait une boutique de chaussures. Jihane, sa femme était traductrice. Depuis fin 2015, ils vivent en Suède. L’exil pour fuir leur pays, la Syrie et « mettre les enfants à l’abri ». Avec les deux petits et leur nièce Sidra 11 ans, Ahmad et Jihane ont migré à travers l’Europe à pied le plus souvent.. Ils ont franchi 10 frontières et dépensé 25 000 €, une somme qu’il leur faudra rembourser. Ils ont choisi de rejoindre la Suède car la sœur d’Ahmad y vit depuis 2013. Leur périple pour y parvenir a duré plus de 7 mois. En juin 2015, alors qu’ils ont quitté la Syrie depuis 6 mois, ils débarquent  « enfin » sur l’île grecque de Kos en provenance de Turquie. Là ils font la connaissance d’Olivier Jobard et de Claire Billet, tous deux photographes « témoins ». Ces derniers vont se joindre à eux pour le reste du « voyage ». Grèce, Macédoine, Serbie, Hongrie, Slovaquie, République Tchèque, Allemagne, Danemark, Suède. 4000 km. Une fuite harassante dangereuse et stressante de 30 jours et autant de nuits.  L’exposition est visible jusqu’au 1 er octobre 2017 au Musée archéologique départemental de Saint-Bertrand-de-Comminges. Une courte vidéo sur « la vie en Suède » est aussi visible toujours à Saint-Bertrand-de-Comminges, à la salle des Olivétains. L’exposition est organisée par le Conseil départemental de la Haute-Garonne, en partenariat avec le festival MAP Toulouse.

La vidéo de leur périple

 

 

 

 

 

 

Linné dans les ténèbres à Bordeaux

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Grande nef du CAPC de Bordeaux. Avant de déambuler silencieusement dans la pénombre de l’univers minéral et quasi spectral des sculptures de l’exposition Linnaeus in Tenebris, je lis les premières lignes de la note d’intention. En référence explicite au titre, Carl von Linné y est cité

L’exposition est visible au CAPC de Bordeaux jusqu’au 24 septembre 2017

Linné ? Linné? Mon ami wikipédia me rafraichit la mémoire : « Carl Von Linné, naturaliste suédois du 18 ème siècle célèbre pour avoir inventé la nomenclature binomiale du monde vivant. » Mais oui, bien sûr ! Mes cours de biologie du lycée ressurgissent par enchantement. Cet homme a donc passé sa vie à décrire, à ordonner, à classer et à hiérarchiser les espèces animales et végétales. Respect! Et d’ailleurs, on connait tous plus ou moins ce gigantesque travail de recensement à travers le double nom « latin » étiqueté sur les plantes chez les pépiniéristes. Mais revenons à l’exposition bordelaise. L’artiste, Naufus Ramírez-Figueroa, est jeune guatémaltèque, sculpteur mais aussi performeur. Son exposition est un champ de sculptures éparpillées inquiétant et dérangeant. Cimetière de squelettes oubliés et blanchis par un soleil torride. Tragédie morbide à ciel ouvert ou carnaval burlesque. Tout est calme. Tout est violence. Je suis perdue. Mal à l’aise. Des parties de corps s’hybrident à des formes végétales. On connaissait l’homme à tête de chou, moitié-légume moitié-mec. Voici une galerie de nouveaux portraits hautement improbables. Qu’on en juge! Un régime de bananes d’où jaillit un bras frêle tendu vers le ciel. Plus loin, un pendu désarticulé se mue en porte-greffe à cacaoyer. Là bas, je rencontre la femme, moitié-fille moitié yucca. Inquiétant aussi, ce gnome fluorescent en forme de cabosse avec ses grands yeux vides et à sa bouche boursoufflée.

Tandis que mon malaise s’épaissit, le titre de l’exposition titille ma mémoire. « Linné dans les ténèbres ». Autrement dit, dans l’ignorance. La nature dans toute sa diversité serait donc impossible à classer et à ordonner dans tous les sens du terme. Et l’homme de science, qu’il soit du 18 ème ou du 21 ème siècle, qui se croirait malgré tout capable d’y parvenir ne serait il pas juste un TRES grand prétentieux ? Autant de questions qui poussent à l’humilité. A découvrir aussi dans cette vidéo, Naufus Ramírez-Figueroa en personne. Serez vous aussi touché que moi par la force de son sourire si enfantin et son attachante fragilité de voix qui s’imposent au regard malgré son impressionnante silhouette.

Liz Van Deuq : piano-poèmes, poèmes-piano…

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Liz van Deuq, voix, piano, paroles et musique. Ca, c’est ce qui est écrit sur la pochette de ses disques. Après, il faut écouter. Mieux encore, aller à ses concerts. Une dizaine de dates en Gironde sur le moi de mai.

Liz Van Deuq en concert à Léognan

Hier soir à Léognan, c’était  mon troisième concert de Liz van Deuq. Et comment dire? J’ai retrouvé avec une émotion aussi forte que la première fois la complexité d’un personnage qui oscille entre fausse ingénue et vraie révoltée. Qui se délecte à prononcer des vérités, des horreurs parfois, des blessures sûrement avec des oeillades complices et une moue enfantine qui trimbale une sensibilité douloureuse. Beaucoup d’autodérision et une pincée de cruauté façon sale gosse espiègle. Et comme Liz van Deuq aime les mots et qu’il difficile à dire si ce spectacle est plus un concert de piano ou un long poème; façon clin d’œil, on lui suggère donc humblement un mot nouveau, le « pianème » » Merci pour tout Liz van Deuq. A voir (ci dessous), une émouvante vidéo chanson d’amour (oui, oui, il faut l’assumer) et pour l’agenda des concerts à venir, c’est ici.

Le caoutchouc, c’est tellement fou !

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La boutique Aigle est visible depuis l’A10 entre Tours et Poitiers. Il y a quelques jours, j’ai pris le temps d’y faire un stop. J’en suis ressortie avec une paire de bottes (normal) et l’envie de raconter l’histoire du hasard fortuit (on dit aussi sérendipité) qui a permis à un certain Charles Goodyear (mort dans la misère) de mettre au point le procédé de vulcanisation par lequel ces jolies (et si confortables) bottes sont (aujourd’hui encore) fabriquées en France.

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Ces jolies bottes à la marque Aigle qui portent le label « origine France » ont été fabriquées via le procédé de vulcanisation dont l’invention est racontée dans le livre « les petits hasards qui bouleversent la science » édité au Papillon Rouge

La vie de Charles Goodyear est une véritable tragédie, une lente et irrémédiable descente aux enfers. Et pourtant, elle aurait pu être auréolée d’une gloire immense doublée d’une reconnaissance internationale.

Car cet homme, citoyen américain, est l’inventeur du procédé de stabilisation du caoutchouc, une invention aussi nommée vulcanisation qui a rendu possible l’utilisation de cette matière d’origine végétale dans les principaux secteurs de l’industrie en remplacement du cuir, du bois, de l’écaille, de l’ivoire, de la corne, du verre, des métaux, du tissu et même du papier.. .

Charles Goodyear fait cette découverte en 1839 grâce à un heureux coup de pouce du hasard et après de fastidieuses années de recherches. Mais ce dénouement heureux arrive bien tard. Au fil des années, cet homme déterminé a sacrifié ses maigres économies et sa santé. Malchances, déceptions, fiascos financiers, séjours en prison, le sort s’est acharné sur lui et sa déchéance a peu à peu entraîné sa nombreuse famille dans l’indigence.

Sa triste aventure commence à la fin des années 1820. La petite quincaillerie qu’il tient alors avec sa femme fait faillite. Pour subvenir à leurs besoins et honorer les créanciers, il se tourne vers le caoutchouc, cette nouvelle gomme étanche importée du Brésil qui met le monde en effervescence. Dès le début, Charles Goodyear croit aux nombreuses possibilités de cette matière.

Les chaussures en caoutchouc importées d’Amérique du Sud font déjà fureur depuis quelques années. La fabrication démarre aussi aux Etats Unis. Comme beaucoup d’autres, Charles Goodyear se lance dans l’aventure. Son idée est de mettre au point une valve étanche pour gilet de sauvetage. Mais il n’a pas le temps d’achever son projet que la mode du caoutchouc retombe aussi vite qu’elle est venue.

La raison en est simple. Cette nouvelle matière séduisante par son imperméabilité ne supporte malheureusement ni la chaleur, ni le froid. Dans le premier cas, elle se ramollit et colle en dégageant une odeur pestilentielle. Dans le second cas, elle devient aussi dure que la pierre.

Première grande déception pour Charles Goodyear!

Mais il n’est pas homme à se laisser abattre. Il sait que s’il parvient à rendre cette matière insensible au chaud et au froid il aura partie gagnée. Il emprunte à nouveau un peu d’argent et se met au travail. Il teste de nombreux produits, acide nitrique, poudre de magnésie.  En 1837, il croit enfin tenir le remède avec un traitement à l’essence de térébenthine et dépose un premier brevet.  En 1838, alors qu’il prend livraison d’un lot de caoutchouc chez un de ses fournisseurs habituels, il remarque que la matière livrée ce jour là ne se présente pas comme d’habitude.

  • Vous avez un secret, demande-t-il au marchand, ce caoutchouc a gardé son élasticité, c’est étrange il ne colle pas et son odeur est plus agréable qu’à l’ordinaire.
  • il est simplement traité par un saupoudrage à la fleur de soufre et séché ensuite au soleil.


C’est le traitement par solarisation
. Charles Goodyear pressent que cette piste est enfin la bonne. Il a raison mais la route est encore longue. Quelque temps plus tard, il décroche un contrat avec la Poste Fédérale pour la fourniture de sacs postaux en caoutchouc soufré et solarisé. Nous sommes en 1839, et c’est le désastre. Exposés à la chaleur de l’été, tous les sacs fondent et deviennent inutilisables. Il faut bien se rendre à l’évidence, si le traitement au soufre empêche bien le caoutchouc de devenir collant, il ne le stabilise pas face aux variations de température. C’est à nouveau la faillite et Charles Goodyear croulant sous les dettes doit déménager. Il n’a pas un sou en poche pour nourrir sa famille. Sa femme et ses douze enfants sont pris en pitié par les voisins et vivent de la charité de quelques fermiers des alentours. Et lui, en obsessionnel aveuglé, poursuit tant bien que mal sa funeste aventure.

Arrive enfin le hasard qu’à ce stade, on a du mal à qualifier d’heureux. Parlons plutôt simplement de découverte fortuite. Elle se produit en janvier 1840 un jour où Charles Goodyear est en grande discussion avec ses créanciers. A cet instant, il tient dans la main plusieurs morceaux de ce caoutchouc qui a causé de son dernier malheur avec les sacs postaux. Et là, sous l’effet d’une soudaine colère, fruit d’un grand désespoir, il les jette à travers la pièce. Un des morceaux atterrit sur un poêle brûlant. Une heure plus tard environ, alors que la discussion houleuse est terminée, il veut retirer ce morceau du poêle. Quelle n’est pas sa surprise alors de constater qu’au lieu d’avoir été ramollie par la chaleur, la matière est devenue plus sombre et surtout, son aspect a changé puisqu’elle ressemble désormais à s’y méprendre à un morceau de cuir. Le principe de la vulcanisation du caoutchouc vient d’être découvert par hasard.

Mais la clé de la stabilisation du caoutchouc et le dépôt d’un premier brevet ne marquent pas pour autant la fin des recherches de Charles Goodyear. Les années suivantes, il les consacre encore et encore à peaufiner sa trouvaille. Quelques créanciers sont assez fous pour lui accorder leur confiance, mais ils s’impatientent. Une fois de plus, Charles Goodyear ne peut faire face et retourne en prison pour dettes. A sa sortie, au printemps 1843, son obstination paye enfin pour la seconde fois; puisqu’il réussit, en utilisant la vapeur sous pression, à durcir le caoutchouc stabilisé. Déjà substituable au cuir grâce à la vulcanisation, le caoutchouc peut alors remplacer des matières dures comme le bois.

Charles Goodyear est-il heureux d’avoir enfin atteint son but? Difficile à dire. Entre temps six de ses douze enfants sont morts de malnutrition et sa propre santé déjà chancelante se dégrade de jour en jour. Les nombreux produits qu’il a inhalés tout au long de sa vie pour tenter de dompter le caoutchouc ont ruiné ses poumons. Certes, Charles Goodyear a gagné mais cette victoire a un prix trop élevé.

En 1844, Charles Goodyear dépose un nouveau brevet et commence à imaginer tous les objets qu’il va enfin pouvoir fabriquer avec ses deux inventions. Il ouvre une manufacture de textile pour fabriquer des chemises d’hommes. Grâce à lui, l’industrie de la chaussure en caoutchouc est relancée. Meubles, bracelets, colliers, bagues, lunettes, boîtes, boutons, manches de couteaux, peignes, chapeaux, violons, clarinettes, flûtes, jouets, coupes, cravaches, stylo… Autant d’objets  de la vie courante que Charles Goodyear présente dans deux salons lors de l’exposition Universelle de Paris en 1855. Une médaille lui est d’ailleurs décernée à cette occasion. Les commissaires de l’exposition commentent cette invention en termes élogieux pressentant que cette nouvelle substance désormais stabilisée, durcie et toujours imperméable ouvre la voie à une révolution industrielle.

Mais cette gloire a malgré tout quelque chose de dérisoire au regard des immenses sacrifices et des années d’efforts fournis par Charles Goodyear pour en arriver là. Et puis, il n’y connait rien en affaire. Comme souvent en pareilles circonstances, le chercheur obstiné n’a pas su ou voulu prendre le temps de protéger correctement ses inventions. Les dernières années de sa vie sont consacrées à des procès contre ceux avec lesquels sans prendre garde il a signé des contrats de licences peu avantageux.

En 1860 Charles Goodyear quitte ce monde au moment où l’industrie du caoutchouc prend son envol. A l’aube du XX ième siècle, Franck Seiberling

un américain qui n’a aucun lien de parenté avec l’inventeur de la vulcanisation, crée son entreprise de fabrication de pneumatiques et la baptise Goodyear. L’hommage est direct mais un peu trompeur puisque ni Charles Goodyear ni ses descendants n’ont jamais récupéré les fruits de cette invention. En tous cas, pas à la hauteur des innombrables sacrifices consentis par eux pour y arriver.

« La Sociale », genre du film : « si la sécu m’était contée »

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La « sécu » est un bien commun. Qu’on se le dise. Allons voir ce film qui nous le raconte et osons regarder la « sécu » sous un angle différent des parleurs néolibéraux. Bref, forgeons-nous notre propre opinion!

Comme une piqure de rappel qui chercherait à stimuler notre « envie collective de bien commun » , ce documentaire nous raconte simplement comment et pourquoi la Sécurité Sociale a été créée en 1945.

Merci Gilles Perret. Merci pour ce film documentaire, « La Sociale ». Pour une fois, on nous parle de la sécu autrement que sous l’angle des équilibres budgétaires. Merci de nous raconter l’histoire de ce bien commun, ciment de la société française. Merci aussi d’avoir rappelé la mémoire et la détermination de ceux qui l’ont construite il y a 70 ans pour lutter contre l’injustice qu’est la maladie et l’insécurité qu’est la pauvreté. Merci à tous les témoins interviewés dans ce film. Merci pour le portrait si humain d’Ambroise Croizat et pour l’attachante interview de sa fille. Et comme je vis près de Bordeaux, ma curiosité naturelle m’a entrainée au Musée National de l’Assurance maladie à Lormont. Dans ce Musée dont j’ai découvert l’existence grâce au film, j’ai aussi appris que le mouvement mutualiste avec ses Sociétés de secours mutuels, reconnaissables à leurs magnifiques bannières de velours est né au XIX éme siècle. Et que ces associations de prévoyance qui assuraient à leurs membres des prestations en cas de maladie pouvaient aussi parfois verser des retraites ou payer des obsèques. « Ce mouvement mutualiste, nous explique-t-on au Musée, a contribué de manière importante à l’avènement de la Sécurité sociale en 1945. »
Si maintenant vous avez envie d’assister à une projection-débat de « La Sociale », l’agenda des rencontres autour du film est consultable ici. Bon film!

Dix mots pour mille sols en parterre à Chambord

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Pour être plus précis, il s’agit de l’exposition de 1000 échantillons de terre prélevés le long de la Loire et exposés en damier à même le sol de la chapelle du château de Chambord. Et voici mes 10 mots pour ces 1000 carrés de terre.

Qu’elle soit vierge, stérile, cultivée, exploitée, souillée ou asphyxiée; la terre c’est avant tout notre planète. Bien universel par excellence. Merci à Koichi Kurita de nous le rappeler ici avec cette exposition des 1000 « Terres de Loire ». A voir à Chambord avant le 12 février 2017.


Rituel. Chaque jour, depuis plus de 25 ans, Koichi Kurita, artiste japonais de 55 ans prélève une poignée de terre.
Voyage. Le lieu de prélèvement change tous les jours. Ici il a voyagé en voiture avec sa femme en remontant la Loire de Saint Nazaire à sa source.
Bibliothèque des « terres  » : Chaque échantillon est précieusement conservé dans un sachet marqué de la date et du lieu de son prélèvement. Sa bibliothèque compte 35 000 échantillons prélevés au Japon et 5 000 en France.
Exposition : Elle débute lorsque l’artiste choisit dans sa bibliothèque de terres les échantillons « dignes » d’être montrés au public.
Purification : Commence alors une minutieuse méthode de « purification » pour préparer les échantillons à l’exposition
Rituel : Lavage, séchage, concassage, broyage, tamisage
Poudre : La terre redevenue poudre et poussière peut être exposée
Carré de papier : elle est présentée ici en petits tas méticuleusement formés sur des petits carrés de papier blanc
Assemblage : c’est l’harmonie entre les couleurs de terre qui dicte l’assemblage d’exposition
Résultat : Ce damier qui occupe le sol de la chapelle du château de Chambord.

Voici une expo qui n’expose rien ! Et pourtant …

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Cet exercice d'art éphémère d'un nouveau genre proposé par Tino Sehgal restera graver dans ma mémoire pour longtemps. Pas si éphémère que ça tout compte fait.

Cet exercice d’art éphémère d’un nouveau genre proposé par Tino Sehgal restera graver dans ma mémoire pour longtemps. Pas si éphémère que ça tout compte fait.

Et pourtant … je l’ai arpentée pendant plus de trois heures. Il ne s’agit pas d’une exposition en effet ! Aucun accrochage. Rien à admirer. Juste à vivre le plus éphémère des instants que la vie peut offrir à un individu : les rencontres ! C’est là que l’artiste, Tino Sehgal, exerce son art. Il invente des situations de rencontre qu’il propose aux visiteurs. Et par la magie des différentes propositions, ces derniers deviennent eux-mêmes les objets de cet évènement si troublant et si original. Le tout se passait (oui désolée l’évènement est terminé) au Palais de Tokyo à Paris et s’intitulait « carte blanche à Tino Sehgal ».

Vous n’avez peut être pas bien saisi en quoi consiste cette carte blanche? C’est normal. L’idée est franchement originale. Avec un exemple, les choses seront plus claires. Voici donc la situation de rencontre à laquelle j’ai été confrontée à mon arrivée dans cette expo qui n’est est pas une. « Bonjour, je m’appelle Zoé. C’est quoi le progrès? ». La demoiselle qui m’aborde tout sourire avec cette si troublante question n’a pas plus de dix ans. Pas le temps de souffler pour réfléchir à ma réponse, la demoiselle m’invite de la main à marcher à côté d’elle tout en continuant à me questionner. Nous traversons une salle. Première situation de rencontre
D’autres visiteurs sont accompagnés eux aussi. Après quelques mots, Zoé s’efface à l’entrée de la deuxième salle et c’est maintenant une adolescente qui s’approche de moi en souriant elle aussi. Même procédé. Elle me pose gentiment des questions sur les gens qui auraient changé ma vie tout en m’accompagnant pour traverser la salle. Troisième salle, troisième rencontre. C’est maintenant une belle femme d’âge mûr au regard bienveillant qui s’approche. Selon le rituel que je commence à bien connaître, nous déambulons côte à côte pendant une ou deux minutes. Pas plus. Cette fois mon interlocutrice aborde un terrain franchement philosophique. ‘Vaut il mieux vivre sa vie ou penser la vie ? ». Autour de nous, les autres visiteurs accompagnés de leurs « questionneurs » marchent lentement. Une quatrième personne plus âgée encore m’aborde. Ce jeu me plait. J’ai l’impression de discuter avec une amie de longue date. Je suis presque euphorique. Nous parlons. Elle de ses nombreux voyages. Moi, je lui explique l’exercice de la « journée à l’envers » pour stimuler ma mémoire. Et des souvenirs aussi, celui des femmes mahoraises brodant des roses sur des nappes en coton blanc ou encore ma découverte des romans de Nina Berberova. Me demande ce que je fais comme travail. Semble sincèrement heureuse de nos échanges. Elle me laisse son nom et me présente ses travaux de recherche et ses livres en cours de rédaction. Le temps d’une seconde je me dis que nous allons nous revoir pour continuer cette discussion enthousiasmante. Fin de la première situation ! J’entre maintenant dans un nouvel espace. Cette carte blanche à Tino Sehgal » en comprend 6 et occupe 13 000 mètres carrés avec près de 300 « intervenants » recrutés par l’artiste pour se relayer auprès des visiteurs.
Deuxième situation de rencontre
Le deuxième espace ressemble à une agora. Sous sol en béton. Des personnes se saluent, se serrent la main. Ils font société. Un mouvement lent les anime. Une foule se forme. Quelqu’un parle au centre. Envie de se rapprocher pour entendre. Une voix. Je vais voir. Deux femmes se font face. Chorégraphie genre yoga. Plus loin, un bar. Au delà le parcours se prolonge encore. Une salle au plafond décrépit vert et bleu pâle. Une fille de treize ans parle seule. Gestes lents. Voix neutre. Cheveux noirs encadrant un visage ovale. Les yeux baissés vers le sol. Elle est au centre de l’espace. Tout est feutré. Moquette au sol. Comme moi, les autres spectateurs assis par terre n’osent pas faire de bruit. La fille parle avec un enfant, Marcel au fond de la salle. Et une question. Est ce que vous préférez « être trop occupés ou pas assez occupés? ». Son regard se dirige vers un homme assis devant elle qui se sent obligé de lui répondre. Lui préfère le trop d’activité. Puis elle demande à Marcel s’il a déjà vu l’extérieur. Lui oui . Elle non. Elle a toujours été en exposition. Marcel s’approche d’elle, prend sa main et ils quittent ainsi la scène par l’entrée de la salle. Petit moment de flottement. Vont ils revenir? Et nous voila avec un spectacle sans acteurs. On se sourit. On est perdus. Est ce terminé? On se lève. Fin de la deuxième situation de rencontre !
Troisième situation de rencontre
Retour au milieu. La foule donne dans la chorégraphie sonore cette fois. Des cris. Genre balade pour le temps présent. C’est chamanique. Grande tension puis tout s’arrête. Brutalement. Fin d’un cycle sans doute. Je n’ai pas envie de quitter les lieux. Pas encore? Je me sens bien ici. Alors je vise l’entrée d’un couloir. Une dizaine de danseurs souriants nous entrainent dans une salle plus obscure. Nuit noire. A t on confiance? Oui. Danse chamanique. Paroxysme. Tout s’arrête. Puis doucement la chanson « good vibration  » est fredonner puis reprise en groupe par les danseurs. Encore une fois pas envie de quitter le groupe. Retour dans l’agora. La groupe marche en arrière et chante en chœur. Chant liturgique. Chant de Noël. Soudain, ils crient en choeur. Quelques frissons. La transe n’est pas loin. Leurs mots ne sont pas audibles. Puis tout redevient calme. Les autres visiteurs gens se regardent. Des conversations démarrent. Encore envie de rester pour voir ce qui va se passer dans ce groupe. Cela fait deux heures que je suis entrée. Je me sens bien. J’engage la discussion avec deux filles. Elles n’ont pas encore tout vu. On s’étonne. Les « intervenants » quittent l’agora deux par deux. Au fur et à mesure du spectacle.
Quatrième situation de rencontre
Il me reste encore une demi heure avant la fermeture. Direction le sous sol. Là je pénètre dans une salle où plusieurs personnes mains dans le dos égrainent des mots face contre mur à la façon d’une prière. Je note leurs mots « the objectif of this work is To become the object of a discussion. ». Parmi eux, un homme occupe l’entrée de la pièce et se balance de droite à gauche empêchant volontairement les autres visiteurs de quitter la pièce. Timidement, je tente la sortie, et je glisse à l’homme un discret « pardon ». Immédiatement il se met à hurler « I have a coment! I have a coment ! I have a coment ! » Sa voix est effrayante. Les autres visiteurs se tournent vers nous. Je me sens obligée de lever la main en souriant comme pour me dénoncer d’avoir provoqué une aussi vive réaction au sein de ce groupe apparemment si paisible. Les prieurs face contre mur cessent brusquement leur litanie et entament une discussion animée philosophique sur la signification et la symbolique du mot « PARDON » dans notre société.

Fin de la quatrième situation de rencontre, je n’aurai pas le temps de vivre les autres. Mais je sais déjà que cet art éphémère d’un nouveau genre restera graver dans ma mémoire pour longtemps. Pas si éphémère que ça tout compte fait.

Et pour se divertir un peu voici la vidéo d’Arsène, 18 ans intervenant étudiant en 2 ème année de philo : chaque visiteur à quelque chose de beau en lui et tous les jours je suis persuadé que je vais ressortir avec le sourire.

69, année « Eddy Merckx »

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Deuxième étape à Bordeaux pour l’exposition de photos « Le tour de France 69 d’Eddy Merckx » de l’artiste belge Jef Geys. Petite plongée dans l’ambiance estivale de la France qui vient d’élire Georges Pompidou, président de la République. Aperçu du travail d’inventaire de Jef Geys.

L'exposition présente 67 clichés pris par Jef Geys tout au long du Tour de France 1969.

L’exposition présente 67 clichés pris par Jef Geys tout au long du Tour de France 1969.

« Soixxxante neuuuuf, année érotiK » ! chantaient Gainsbourg et Birkin. Pour Neil Amstrong dont le « petit pas sur la lune fut un grand pas pour l’humanité » l’année 69 fut assurément plus cosmique qu’érotique. Quant à Eddy Merckx, même si je connaissais son nom (oui, oui je suis assez vieille pour çà) j’aurais été bien incapable de déclarer spontanément que 1969 avait été l’année de sa première victoire dans le Tour de France. Voila pour la séquence souvenir ! Le titre de l’exposition présentée au CAPC de Bordeaux des photos de Jef Geys est effectivement très explicite : « Le Tour de France 1969 d’Eddy Merckx ». Cette année là, le photographe décide de suivre, au volant de sa 2CV, les étapes de la course de son compatriote. Bien sûr, les performances sportives du champion d’exception l’intéressent mais Jef Geys s’attache aussi à tout ce qui se passe autour de la grande boucle. Où l’on découvre ainsi une série de clichés sans effet solennel. Pas de cadrage serré. Le photographe est dans la foule ou en retrait dans le hall de l’hôtel du champion. Il se tient à distance. Tellement à distance que parfois on aimerait bien demander au badaud dont la casquette bouche un peu trop la vue de se pousser. Trop tard. L’image est dans la boite. Jef Geys se met tellement en retrait qu’il peut aussi déclencher une photo depuis l’intérieur de sa voiture juste à travers la fenêtre ouverte. Effet cliché volé. Au final, ça donne une série de 67 photos noir & blanc présentées à hauteur de regard et encadrées, selon le souhait de l’artiste, sous plexiglas dûment boulonnées. Dont acte! Eddy Merckx apparait calme. Serein, il signe ça et là un autographe. La foule est clairsemée, attentive, calme elle aussi. Pas d’hystérie. Les séances de selfie relèvent encore de la science fiction. L’ère des plans vigie pirate n’a pas encore été décrétée. Et puis, et puis l’exposition présente aussi un livre.
« Toutes les photos de ma vie »


Un grand livre ouvert à la page 234. Son titre « Toutes mes photos jusqu’en 1998. ». L’ouvrage contient 40 000 photographies à travers des planches contacts imprimées de façon aléatoire, sans chronologie ni titre. Autant de clichés pris par Jef Geys dans sa vie quotidienne et qui seront, ou non, exposés un jour. En se penchant d’un peu plus près sur la page 237 on retrouve toutes les images du « Tour de France 69 ». Que nous dit ce livre? « Jef Geys, nous explique-t-on est un artiste singulier qui constitue depuis 1958 un centre de documentation où il répertorie toutes les oeuvres qu’il produit. Sa une conception de l’œuvre est très large. Pour lui tout est œuvre depuis un tableau jusqu’à une lettre administrative. Jef Geys archive, collectionne et enregistre sans aucune hiérarchie entre les différents documents. Ce livre fait donc partie de cet inventaire personnel. C’est un peu une boite noire où Jef Geys stocke les informations de sa vie mais aussi les informations de la vie !  »
L’exposition a fait sa première étape en juin 2016 au Centre national édition art image (Cneai) de Chatou. Elle est visible à Bordeaux jusqu’15 janvier 2017. Les étapes suivantes auront lieu aux Bains-Douches d’Alençon (2017), au Centre d’art contemporain-Passages à Troyes, à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne (2017) et au Vog, centre d’art contemporain de la ville de Fontaine.

L’art des Champs, nouveau courant du land art

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Petit miracle de la création artistique ! Qu’un artiste s’empare d’une technologie plus ou moins familière et c’est notre regard qui change. Ou comment j’ai découvert qu’un semoir de précision métamorphosé en imprimante au champ peut élargir le regard sur la place de l’agriculture.

Le travail de l'artiste allemand Benedikt Gross

Le travail de l’artiste allemand Benedikt Gross

Entre le Land art et le Street art, je suggère solennellement qu’il existe aussi l’art des Champs. Dont acte! Promis, je vais réfléchir à une possible traduction en anglais. Ca sonnera sûrement mieux. Toujours est il que l’idée s’est imposée en découvrant le travail de l’artiste allemand Bénédikt Gross proposé dans l’exposition Constellation.s organisée par Arc en Rêve dans la grande nef du CAPC de Bordeaux le mois dernier. Certes, les paysages agricoles ont souvent inspiré les peintres et les photographes. Certes, les agriculteurs sont parfois surnommés les sculpteurs du paysage. Mais là, c’est autre chose. Et cet « autre chose », c’est le détournement du savoir faire de l’agriculture de précision au profit de la création artistique. Ou comment un semoir de précision métamorphosé en imprimante géante questionne l’agriculture sur ses buts et son rôle vis-à-vis de la société. Mais de quoi s’agit-il ? Tout commence avec un joli dessin conçu par l’artiste à partir de son ordinateur avec comme fond de carte les contours du champ à semer. Les nuances de couleur seront obtenues en variant les espèces mises en terre par le semoir intelligent car ce dernier sait changer automatiquement l’espèce de la graine à semer sans que son chauffeur ait besoin de s’arrêter. Trop fort ce semoir ! Mais on fait quoi avec tout ça me direz vous? Bonne question. C’est là justement que le regard change et que cette technologie utilisée jusque là à des fins rationnelles de productivité prend du service au profit de l’esthétique. Un peu court, dirons certains! Que neni ! Le beau stimule l’esprit, encourage la réflexion et au final tout ça rend plus libre. Et puis, et puis … ce dessin au champ raconte aussi la biodiversité et son rôle dans nos vies, ne serait-ce que pour nous sauver des dangers de l’uniformisation. De tous les dangers qui nous guettent avec l’uniformisation. Et là, on dépasse largement le champ du champêtre! Ah ah! Et puis comme pour dire que tout cela n’est pas uniquement le délire d’un artiste, on n’oubliera pas de lire la note en fin de vidéo (en cliquant plus haut sur le lien de l’artiste). Ce lien précise en effet que le champ a été récolté pour produire du biogaz à partir de toute la biomasse issue de cette expérience artistique au champ. Rien ne se perd ! Tout se crée et se transforme !

Une modeste expérience de lecture augmentée en Patagonie

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"Fin de roman en Patagonie" de Mempo Giardinelli est édité chez Métailié

« Fin de roman en Patagonie » de Mempo Giardinelli est édité chez Métailié

Mieux que le Pokémon Go et toutes les applis de réalité augmentée réunies, j’ai récemment expérimenté la lecture augmentée. Bigrement augmentée même puisque, non seulement, j’étais physiquement dans le décor du livre mais que l’auteur y voyageait aussi en distillant ses souvenirs, ses rêves, ses doutes d’écrivain et quelques réflexions sur son pays. J’étais donc à ses côtés, presque en confidente, et de surcroit, immergée dans un troisième récit, le roman à venir que l’auteur cherchait à terminer dans ce périple. Très troublant tout cela. ! Le tout bien sûr, sans tablette ni smartphone. Juste un livre. Un simple livre.

« Fin de roman en Patagonie ». Voila pour le titre de ce roman de Mempo Giardinelli. . Je l’avais acheté six mois plus tôt. Il était raccord avec la destination de mes prochaines vacances. L’Argentine. Sa quatrième de couverture m’avait convaincue qu’il serait très certainement une belle rencontre. « Nous sommes en 2000. L’auteur s’embarque à bord d’une vieille Ford Fiesta rouge, la petite rouquine, avec son ami Fernando Opéré et 2000 euros chacun pour 40 jours de liberté en Patagonie ». A première vue, l’histoire parait simple. Les deux amis vont parcourir 4000 km aller/retour. Leur aventure commence à 650 km au sud de Buenos Aires dans la ville portuaire de Bahia Blanca sur la côte atlantique. Direction le grand sud argentin le long de la côte est du pays. Le point le plus austral de leur périple étant la ville de Rio Gallegos, à l’embouchure du fleuve du même nom. Puis, bifurcation « plein ouest » jusqu’à la ville pionnière d’El Calafate. Après quoi, c’est la grande remontée vers le nord en cheminant le long de la Cordillière. Destination finale, la ville de Neuquen. Vu l’itinéraire, on s’attend surtout à un récit de voyage. Aucune déception de ce côté. Lieux grandioses, paysages sauvages parfois menacés, histoires vraies ou fausses, légendes, celle du Gaucho Gil tout particulièrement, croyances, rencontres hospitalières la plupart du temps, anecdotes, drames passés et futurs. Tout y est. Mais ceci n’est que le premier plan de ce roman. Car il y a un deuxième récit  dans ce livre. Le roman que Mempo Giardinelli espère achever et pour lequel il a entamé cette expédition. D’où le titre du livre. Eh oui. On y vient. Les personnages de ce second roman sont un couple d’amoureux, Victorio et Clelia, qui fuient la police jusqu’en Terre de feu. Ils parviennent toujours à s’échapper. Mais jusqu’à quand? On y croit. On espère. Mempo Giardinelli nous fait partager ses hésitations sur la suite de son récit et le destin de ses personnages. Lire la suite